Le "Fantôme du Grand Bois" le 6 Juillet 2018,
Laviron.
Il s'agit de ma 5ème sortie cette année 2018 et toujours sur
cette partie du territoire où de petites haies jouxtent notre "Grand
bois". J'arrive assez tôt en place et suis prêt à 18h00 pile.
Le match de l'équipe de France gagné au Mondial étant tout
juste terminé, au loin des clameurs et klaxons détournent par leur inhabituelle
fréquence de cette paisible localité les hôtes de ses bois…
Je chemine donc sous couvert de ce vacarme lointain en
direction de mon arbre.
Arrivé sur place, tout ayant été soigneusement check-listé
au préalable, rien ne me manque et je suis en place pour quelques heures
d'affût. Quelques heures de bonheur complet à faire partie du sauvage.
Comme le
secteur a reçu quelques averses les jours précédents, l'herbe coupée est de
nouveau fraiche et bien verte. La fraicheur relative portée par ces averses
entre deux épisodes (Très) chauds facilitera, j'en suis convaincu, la sortie
des capréolidés.
J'ai repéré un beau pépère qui semblait boiter de l'antérieur
gauche et deux jeunes brocards chamailleurs qui n'arrêtent pas de se poursuivre
dans l'épais derrière moi. Puis, il y a un fantôme: un brocard qui n'a rien
d'extraordinaire d'ailleurs il porte 6 mais de loin on dirait qu'il ne porte pas
d'andouillers (comme si il était, selon l'expression consacrée: assassin!)
Peut-être ravale t-il, peut-être a-t-il connu une période de
disette pendant la refaite des bois (gel trop prolongé possible sur ce secteur
plutôt en hivernage…)
Les minutes passent et je repense à Chris qui a fléché avec
maestria un trophée atypique (chevreuil licorne fort en diamètre) fin Juin…
Toujours précoce ce Chris…
Je me demande ou peut bien être ce boiteux et les jeunes que
j'appelle désormais Tic et Tac tant ils me font penser aux écureuils de Walt
Disney qui se bagarrent tout le temps… Le temps serait quasiment idéal pour un
début de rut. Un ami, Benjamin, m'avait relaté sa soirée deux semaines
auparavant avec des scènes de poursuites. Le réchauffement climatique aurait-il
une incidence sur la précocité de la pousse des plantes et donc sur les cycles
reproductifs des espèces sauvages??? J'en suis presque convaincu! Très peu de
renards vus en ce début de chasse d'été… Là encore une autre bizarrerie que je
n'explique pas tant ce lieu est propice à les voir s'affairer à chasser les
mulots après les fenaisons… Je regarde les ramiers voler de branches en branches
tout près de moi en roucoulant de plus en plus fort, les buses et milans
tournoyer dans les thermiques, les passereaux qui viennent jusqu'à se poser sur
la tenue de camouflage 3D que je porte sur moi…
Pris dans mes divagations et pensées, je ne vois pas le
temps passer, cependant le jour commence à décliner, il est 20h30… Je ne vois
et n'entends pas la moindre présence de chevreuil. Absolument immobile, assis
dans mon arbre depuis mon arrivée à 18h00, je me laisse aller à changer de
position à la vitesse d'un gastéropode lent qui glisserait (mal) sur une
feuille de papier de verre. Je me dis également qu'il pourrait être judicieux
de sortir l'appeau pour jouer mes premières notes d'amour aux vues des
circonstances énoncées ci avant (données climato-météo-biotopiques favorables à
un déclenchement précoce du rut!)
Je me donne un objectif appel vers 21h si je ne vois rien.
Mon poste est situé à coté d'une coulée et de nombreuses
couchettes et zones de frottis et régalis jonchent la surface environnante. Je
sais que ce coin est très apprécié des chevreuils…
20h56, rien de nouveau. Je décide alors de tenter une
première série d'appels. Mon buttolo exprime 3 "piouuuuuuuuuu"
langoureux à souhait… chaque cri de 2 secondes est interrompu par un silence de
5 à 6 secondes.
Le résultat dépasse rapidement mes espoirs car j'entends
dans la lisière qui m'est perpendiculaire des bruits de pas et des grognements
sourds. Pas des grognements de sangliers mais des grognements typiques pour
ceux qui ont pu avoir la chance de voir en vrai la parade amoureuse de Monsieur
Brocard et Mademoiselle Chevrette…
Il est là tout près mais il n'est pas du genre à se faire
berner par la première venue et il reste en lisière pour observer quelle
gourgandine peut trainer le secteur. Il s'agit du "Fantôme du Grand Bois"!
Il finit alors par sortir du bois à une trentaine de mètres
de mon arbre et, ne voyant personne, profite de la manne verte pour se remplir
la panse.
Je retente un coup de buttolo, mon cœur et mon corps sont
entièrement tendus vers cet animal qui semble snober complètement ce nouvel
appel. Que nenni, il s'en va tranquillement rejoignant la lisière pour de
nouveau observer et faire des allées et venues en mode silencieuses. (Seuls ses
grognements ponctuels et quelques délicats bruits de végétaux trahiront sa
présence, ça puis là!) L'heure avance et la nuit se fait de plus en plus
pressante de prendre la place au jour. Je décide au moment ou il semble être au
plus proche de moi dans le bois de l'appeler de nouveau au buttolo… Alors à ce
moment là, c'est la sérénade, il me la joue façon Orignal dans la lisière en
s'approchant de mon poste, il tape des pates en marchant et cherche des
effluves de chevrettes en chaleur, je continue d'appeler (de moins en moins
fort) il est à moins de 20 mètres quand je décide de lâcher l'appeau pour
préparer mon tir…
Il continue et arrive face à la coulée, j'arme les 68 livres
de mon arc à poulie.
Je le suis avec mon viseur. Il va me venir pleine face… Il
est dans le secteur ou j'avais repéré préalablement les distances exactes au
télémètre.
Il est légèrement de 3/4 avant la tête basse à 13 mètres, je
suis à 4 mètres en haut dans mon arbre et je fixe ma visée sur sa colonne
vertébrale dans l'aplomb de la cage thoracique.
Un craquement terrible, la flèche est partie et s'est fichée
dans la colonne visée mais quelques centimètres en arrière les membres
postérieurs sont défaits et l'hémoglobine gicle, deux secondes plus tard et son
dernier râle déchire le crépuscule. Il n'aura pas fait deux mètres. Il est
tombé là et meurt quasi immédiatement.
J'avais déjà remis une flèche sur mon arc voyant la première
atteinte plus arrière que visée mais non, il n'y aura pas besoin d'un deuxième
tir.
Pris dans une buck-fever* terrible, j'en ai le cerveau
bouillonnant de ce moment étrange que seuls connaissent les chasseurs entre
tristesse et soulagement, des tremblements nerveux m'obligent à reprendre la
position assise et ne m'autoriseront de redescendre de mon arbre qu'après 5
"bonnes" minutes de cette transe quasi mystique qui nous met en
relation le sauvage et le civilisé, la vie et la mort, tout ne fait qu'un.
Nous, chasseurs, sommes comme ce brocard que des mortels,
mais qui accomplissent notre tâche de mortel prédateur et lui en proie morte
s'est offert à moi. L'herbe s'est offerte à lui, la terre s'est offerte à
l'herbe de même, des résidus de nos corps s'offriront tôt ou tard à cette terre…
La boucle de la vie qui est ainsi faite, est bouclée.
Bouclé aussi sera le bracelet apposé à l'animal dans le plus
grand respect pour ce qu'il nous apporte de convivialité à venir. La dernière
bouchée lui est offerte.
A mon fils:
Ce soir, je serai rentré tard mon Titou et tu te seras
endormi sans moi.
Aussi, je voyais, en me retournant dans ce champ lors de mon
retour vers la civilisation, mes pas fantomatiques, dans la rosée du soir, précédant
les tiens…
Je te le souhaite en St Hubert et St Sébastien aussi, je
t'offre ce trophée pour que tu puisses, toi aussi communier avec la Nature dans
ce qu'elle peut nous offrir de plus beau.
Samuel
* Buck-fever: Forte émotion vécue lors d'un acte de chasse par le
chasseur qui tire un animal. Souvent très présente les premières années de
pratique, cette émotion n'est plus perceptible si l'animal ciblé n'est plus
analysé comme un être vivant, mais comme un score. Tout chasseur doit vivre
cette émotion (à des échelles plus ou moins sensibles) or cette absence
devient symptomatique d'une altération des sentiments de l'homme prédateur qui
peut alors être préjudiciable à son comportement éthique ! (c'est typiquement, la
réflexion: "il risque plus que moi!" ou encore "tout ce qui vole
à la casserole, tout ce qui court au four!" qu'il convient de reprendre
dans la bouche de certains pseudos chasseurs au même titre que les calomnieuses
nominations de cochon, verrat ou truie pour des sangliers!)
Félicitations réitérées ! [img]http://emoticon.gregland.net/emoticon/Content/Content_26.gif[/img] ;;)
RépondreSupprimerC'est quoi ça : [img]http://emoticon.gregland.net/emoticon/Content/Content_26.gif[/img]
SupprimerUn truc de spécialiste des émoticons sur le blog....
La réponse du berger button à sa bergère!!
SupprimerArff...
Super récit et joli prélèvement félicitations 🍾🎊
RépondreSupprimerbravo sam
RépondreSupprimerAh les gars du team Laviron ils ne rigolent pas...Bravo encore...
RépondreSupprimerEncore 1000 félicitations mon bon Sam pour moi ma 5 ème sortie c'est demain j'espère faire pareil.:-)
RépondreSupprimerBravo à toi respect et honneur au fantôme du grand bois
Que du bonheur! on se laisse emporter par ton récit...bravo Sam
RépondreSupprimerWaidmann's Danke Patrice!
RépondreSupprimerMerci pour vos félicitations. J'estime que le premier geste de convivialité de la chasse est le partage. Partage vers mes amis en premier lieu mais aussi vers les non-chasseurs qui doivent ré-apprendre à vivre avec nous autant que nous avec eux.
Pour vivre heureux il est temps de vivre au grand jour.
Moi je suis d'accord pour le partage mais avec les chasseresses, les non-chasseresses, les épouses de chasseurs et toutes les autres et j'aime leur réapprendre à vivre...
RépondreSupprimersyphilitique???
SupprimerFélicitations !
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