Il est 10h35, ce dimanche 24 janvier, je viens de
quitter la voiture sur le parking de chasse (comment ça, je ne suis pas matinal
?!!!).
Je suis un chemin qui descend légèrement, la neige qui
a fondu laisse un terrain bien détrempé et très silencieux, quelques tâches de
neige incontournables mises à part...
Tout en marchant lentement, je pense à ce que j'ai dit
à mon épouse Patricia, il n'y a pas 10 minutes : nous avions prévu de nous
faire un resto chinois avec nos 2 filles pour ce midi, et, juste avant de
partir, je plaisantais :
"Si je fais un chevreuil ou un doublé de
sangliers, j'aurai du mal à être rentré pour le resto..." Patricia avait
haussé les épaules, avec un mélange de moquerie et d'incrédulité...
Cela fait plusieurs fois, ces derniers jours, que j'ai
vu des chevreuils passer sur une coulée parallèle à ce chemin, ils se débinent
discrètement lorsque les chiens leur font la misère dans la combe, en contrebas.
Encore hier, une occasion avait failli se concrétiser pour moi un peu plus
bas... Et il y a 3 semaines, j'avais armé sur une bande de 8 sangliers, qui,
malheureusement pour moi, n'avaient pas jugé utile, sur le moment, de faire
chuter leur vitesse moyenne de fuite et de ralentir...
Dans mes pensées et mes lents déplacements, j'ai fait
environ 200 mètres
depuis la voiture lorsque j'entends un bruit caractéristique de végétation
déplacée, mélangé avec le bruit tout aussi caractéristique du tapis feuillu
encore enneigé ou givré qu'on piétine.
Mes problèmes d'audition m'empêchant quasiment systématiquement
d'identifier la direction d'origine d'un bruit, je tourne la tête un peu dans
tous les sens, et j'encoche une flèche.
Au bout de quelques courts instants, les petits
buissons de hêtres, encore feuillés, devant moi, bougent de façon singulière...
Un petit brocard arrive lentement, il vient
visiblement de faire une sacrée grimpette pour se débarrasser du danger des chiens,
pourtant lointains, qui aboient toujours, mais loin, en-dessous de nous.
Il ne m'a pas encore remarqué, je le vois haleter et
ses flancs vont et viennent frénétiquement au rythme infernal des 2 petits
poumons qui tournent à plein régime.
Flèche encochée, crochet du décocheur dans le loop,
mais impossible d'exécuter le mouvement d'armement de l'arc ! Il est à 10 ou 11 mètres , dans ces
buissons, au pied d'une énorme souche, et moi, debout, au beau milieu de ce
chemin qu'il connaît certainement par cœur.
Inévitablement, son regard passe dans ma direction, il
se fige, mais ne fait pas toutes la série de mimiques et petites ruses
habituelles... J'aime à croire que mon camouflage intégral Predator y est pour
quelque chose...
Il faut dire que cette tenue en laine polaire, aussi
chaude que silencieuse lors des mouvements, même à très courte distance, est
particulièrement adaptée au biotope actuel. Les zones blanches du motif
"Brown Deception" défragmentent les contours de la silhouette et se
marient à merveille avec les nombreuses petites tâches de neige qui parsèment
le sol autour de moi.
Le chevreuil a bien capté quelque chose d'inhabituel,
mais ne m'a pas identifié...
Je reste immobile pendant 5 minutes interminables,
l'arc à bout de bras, en essayant de me calmer, de ne pas respirer trop fort
pour ne pas faire de buée, mes yeux pleurent et je suis obligé de cligner de
temps à autre, je fixe le petit indicateur de vent accroché à mon arc.
Le vent est faible, mais pas très constant.
A un moment, je me dis : "C'est foutu !" L'indicateur
pointe pendant une ou deux longues secondes droit dans la direction de l'animal...
Non, il ne bronche pas. Toujours attentif, mais immobile...
Un aboiement lointain, mais un peu plus fort que les
autres oblige soudainement le chevreuil à tourner la tête derrière lui, j'en
profite évidemment pour armer.
Il n'a pas le temps de s'intéresser à nouveau à cette
forme bizarre au milieu de ce chemin qu'il a dû si souvent traverser, que la
flèche le percute.
J'entends le bruit caractéristique du choc du
projectile dans la cage thoracique. L'animal détale en prenant le chemin par où
il était arrivé. Il descend le talus et disparait de ma vue presque
instantanément, mais il me semble entendre le bruit de sa fuite pendant
plusieurs secondes...
J'ai l'impression d'une atteinte un peu trop haute et
il m'a semblé voir l'orange de mon encoche se déplacer avec le chevreuil. Serait-elle
restée dans l'animal ?
La conjonction de ces différents indices me pousse à
ne tenter aucune recherche par moi-même, je reste sur le chemin et j'appelle Jean-Noël Boillon ,
conducteur de chien de sang qui habite tout près.
En attendant son arrivée, je passe un coup de fil à
Patricia, et lui explique que le plan "resto chinois" a du plomb dans
l'aile...
Moins de 45 minutes plus tard, Jean-Noël arrive, et
Eric, un chasseur de Mandeure prévenu et venu m'apporter un bracelet, nous
accompagne.
Je leur montre la position que j'occupais lors du tir
(que j'avais marquée avec un morceau de ruban spécial piste au sang acheté à notre belle
association) et leur indique l'anschuss. Nous
retrouvons immédiatement la flèche, couverte de sang et de débris stomacal sur
toute sa longueur. Le petit chien part directement en direction d'un bouquet de
houx placé un peu plus bas, si vite que Jean-Noël est obligé de le ralentir un
peu. Une fois dans le houx, Jean-No voudrait bien le récupérer et contourner
les feuilles piquantes, mais le chien fait de la résistance... Eric
s'écrie :"Il est là, le chien est déjà dessus !" En effet, le
chevreuil n'a pas parcouru plus de 20 mètres après l'atteinte, je n'en reviens
pas, moi qui croyais l'avoir entendu dévaler tout le talus...
La flèche est rentrée au-dessus de l'épaule gauche
pour sortir près de l'anus. La pointe trilame QAD Exodus a fait un sacré boulot
: poumons, panse, intestins sont complètement atomisés dans une soupe
nauséabonde et encore chaude lors de "l'autopsie" de l'animal. Une côte
a été tranchée nette. En revanche, le cœur, le foie et les reins sont
parfaitement intacts.
Ce petit brocard en velours accusait 18kg plein au peson
de l'ACCA.
Les 3 petites lames de ma pointe seront brièvement passées
au Lansky pour récupérer tout leur mordant, et pourront reprendre du service
sans autre forme de procès...
Sylvain Mollier
beau récit et prélèvement, félicitations ;)
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerUne gigue de chevreuil laquée ou en fondue chinoise devrait te faire pardonner auprès de ton épouse et tes deux filles de ton indélicatesse ! Le sushi pour toi, c'est qu'elles nems pas !
RépondreSupprimerJ'ai pris beaucoup de plaisir à te lire...félicitations pour ce jeune velours.
Waidmann's Heil Momo!!!
RépondreSupprimerSAM
Comme dans du velours !
RépondreSupprimerFélicitations Momo
Merci à tous !!!
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