En réponse
au récit du brocard de Yop, mon voisin de chambre à Gap, je vais vous faire
partager une rencontre magique que j’ai fait dans ces merveilleuses montagnes.
C'est mon quatrième
séjour à Gap, dans ce paradis de la chasse.
Comme Yop
vous l'a déjà raconté, ce séjour ne s'annonçait pas sous les meilleurs auspices,
la chaudière à gaz du refuge ayant rendu l'âme la semaine précédente.
Par bonheur,
la météo clémente a bien facilité les choses et rendu le séjour plus supportable.
En contrepartie,
les journées très chaudes ne facilitent pas la chasse à l'affut, car les
animaux ne bougent pas beaucoup dans la journée.
Après discussion
pour cet avant dernier jour de chasse, décision est prise de chasser une
deuxième fois dans la partie haute du domaine : les bois du Chapitre. La première
journée dans ce lieu avait été couronnée par la vue de nombreux animaux.
Après une
bonne marche d’approche dans une nature magnifique, toute l'équipe est en place,
je pars avec Yop pour reprendre le même poste qu'il y a deux jours.
Pendant ce
temps-là, Pat, "grand courant" du jour, prendra le chemin des crêtes
pour redescendre contre nous en pirschant en espérant déranger quelques animaux
dans notre direction.
Une grande
forêt de feuillus avec quelques sapins le tout clairsemé dans une pente de
terrain régulière, beau paysage mais peu
d'obstacle au sol pour dissimuler un affut.
Un gros
tronc de sapin tombé perpendiculaire à la pente contre un autre arbre et le
seul emplacement propice pour un poste.
Yop part à
trois cent mètres un peu en contre-bas afin de chercher lui aussi un
emplacement propice.
Je
m'installe donc au sol derrière ce tronc en aménageant un peu les lieux avec un
parapluie d’arbre pour boucher un angle dans la partie haute et une toile camo
ferme le dispositif du coté bas de la pente.
Tout est
en place depuis sept heures du matin, et, contrairement au premier jour, pas grand-chose
ne bouge.
La surveillance
de ce poste en milieu de pente n'est pas facile, les animaux peuvent arriver sur
380°.
Vers neuf
heures, j'aperçois un mouvement à deux cent mètres sur la même courbe de niveau,
je pense dans un premier temps qu'il s'agit d'une chevrée de mouflons, des
brebis avec les agneaux comme déjà vu à cet endroit il y a deux jours.
Les animaux
sont en file indienne assez rapprochés les uns des autres, j'ai mon arc en main,
on ne sait jamais, il peut peut-être y avoir quelques mâles mouflons aux
alentours.
Ils continuent
de monter en oblique dans la pente du sous-bois, mais quelque chose
ne va pas,
le troisième de la petite bande n'est pas de la même couleur beige claire que les autres,
il est brun beaucoup plus foncé quand soudain j'aperçois les queues noires des
premiers, ce ne sont pas des mouflons mais des loups !
Christian
en avait déjà aperçu un le premier jour … là, il doit y en avoir sept ou huit.
Je pose
aussitôt mon arc, me penche derrière mon abrit pour saisir mon appareil photo
qui est dans mon sac à dos posé au sol.
Quand je reprends
ma position d'observation par-dessus le tronc d'arbre qui me sert de cache, je
ne retrouve pas les loups où je pensais … ils auraient dû continuer de monter dans
la même direction et s'éloigner de moi dans la partie haute de la pente.
En fait, la
meute a changé de direction, elle s’est scindée en deux parties, un petit groupe se déplace maintenant perpendiculaire
à mon poste et commence à s'espacer les uns des autres, je prends quelques
photos, mais plus de troncs d'arbres que de loups sur les clichés. L'autre partie
du groupe est en train de redescendre la pente et progresse aussi sur une même
courbe de pente mais cent cinquante mètres en dessous de moi.
Dans un premier
temps, je ne comprends pas ce changement de direction, un
contournement ?
J'ai quand
même réussi à prendre quelques photos pendant la séparation du groupe.
Au-dessus
de mon poste à ma gauche dans la pente à une distance de 200 m en diagonale,
une partie de foret est beaucoup plus claire, et il y a une zone sans arbre.
Je cale le
zoom de mon appareil photo au maxi dans cette partie en espérant prendre un ou
deux beaux clichés.
Mais aucun
loup ne passe à cet endroit … plus rien ne bouge dans la partie haute...
Je regarde
dans le bas de la pente à l’endroit où j'avais aperçu la deuxième partie de la meute …
et là, même constat, plus d'animaux dans le bas de la pente.
Des
morceaux de puzzle commencent à se mettre en place dans ma tête, il y a trois ou quatre
loups au-dessus de moi à 100 ou 150 mètres, espacés les uns des autres.
Dans la
partie basse, il y a aussi le même nombre de loups en position et plus personne
ne bouge.
Cela ressemble
furieusement à une technique de chasse que les prédateurs qui chassent en
groupe utilisent : la tenaille…
Il ne
manque plus que le dernier morceau du puzzle pour que tout cela fonctionne, un petit
temps où rien ne se passe, me faisant douter de mon scénario mais la pièce manquante
ne tarde pas à se mettre en place, à ma droite du bas de la pente, se dessine
une silhouette qui se dirige droit sur moi, pas de doute, c'est bien un loup plutôt
la louve dominante de la meute, qui est maintenant à moins de dix mètres…
Un frisson
parcourt le long de ma colonne vertébrale comme pour hérisser une quelconque crinière,
un vestige de lointains ancêtres ?
Je passe
en un instant du statut de chasseur prédateur à celui de proie potentielle !!!
Des idées
un peu confuses se bousculent dans ma tête … que faire ? prendre mon arc, mais,
il est au sol à deux mètres de moi, de plus, il faut que je me baisse pour le
ramasser, mauvaise idée…
Se mettre à
courir mais où ? vers les autres loups en embuscade ? mauvaise idée…
Grimper dans
un arbre mais le plus proche fait 60 cm de diamètre et n'a aucune branche avant
trois mètres de haut … mauvaise idée...
Prendre
mon couteau de chasse pour me défendre mais comme il ne fait pas chaud en place
au poste, il y a deux ou trois couches de vêtements avant de l'atteindre … mauvaise
idée...
La louve
est maintenant à six mètres de moi, et mon seul rempart est un filet de
camouflage !!!
Elle arrête
son approche et commence à me fixer, on se regarde les yeux dans les yeux ... une
dizaine de secondes, le temps suspend son court et tout ce qui se trouve aux
alentours à disparu dans son regard magnifique, elle n'a pas une attitude menaçante.
Elle incline un peu la tête à droite et à gauche comme pour mieux sonder cette
chose bizarre qu’elle a vu bouger dans ce buisson derrière cet arbre couché.
Je reprends
un peu mes esprits et me dit qu'il faut que j'immortalise cette rencontre magique,
mon appareil photo est pendu à mon cou, je le prend tout doucement et le monte
par dessus le filet de camouflage qui nous sépare, fait une première photo à
main levée.
La louve
n’a pas bougé, j’incline un peu mon appareil pour voir le cadrage de l’image sans
trop la quitter des yeux, et là, je m’aperçois que la photo est floue.
Je remonte
mon appareil et appuie à mi-course sur le déclencheur pour faire la mise au
point.
Le zoom du
boitier fait un aller et retour pour la mise au point avec un petit bruit de moteur. Tout
est fini, la louve vient de faire volte-face et s’enfuit.
Instantanément,
tous les animaux en place en haut et en bas de ma position font de même, se
rejoignent et fonce vers le bas de la pente dans la position de Yop qui voyant
arriver les loups, se dit lui aussi c’est l’heure du repas…
La journée
se termine au refuge autour d’un bon repas où chacun raconte sa petite histoire
du jour, je vous fait grâce du récit de mes errances de ma nuit mouvementée, qui
cela dit, ont bien fait rire le reste de la petite équipe le matin au
déjeuner.
Thierry D.