Attrape-moi si tu peux !
Voilà un mois et demi que
mon ACCA m’a offert l’immense privilège de me confier 2 bracelets pour le tir
d’été, un pour le brocard et un pour le sanglier. Un mois et demi que j’ai
plaisir à m’essayer à voir, à entendre ou à augurer quelque gibier qui voudrait
bien ne serait-ce que croiser ma route. Chemin faisant j’apprends, à mes
dépens, des essais infructueux de l’usage trop précoce de l’appeau, d’un
placement trop en amont ou trop en aval des reliefs, d’une position à « mauvais
vent », des bruits que j’occasionne en essayant d’apprivoiser mon tree-stand
auto grimpant. Parcourant ainsi mon terrain de chasse à la façon d’un
pachyderme dans un magasin de porcelaine, je m’extasie cependant de la qualité
des instants passés loin du tumulte de la vie mondaine et de son quotidien, de
la différence du mode de chasse à l’approche et à l’affût en opposition avec la
battue pendant laquelle la sérénité des lieux est troublée par la voix des
chiens meneurs. Alors je passe de longs moments avec moi-même et étant donné
que nous sommes plusieurs dans ma tête, on ne s’ennuie pas ... et puis j’ai bon
espoir car comme le dit Hugo : « Le calme, c’est la tenaille du bourreau ».
Les jours se suivent et se
ressemblent jusqu’à ce que je me fasse aboyer sans voir, que j’entende sans me
faire aboyer et sans rien voir non plus. Mes tentatives se prolongent jusqu’à
la nuit et comme le dit un de mes ami Québécois : « rien qu’à voir, on voit
bien qu’dans l’noir on ne voit rien. Quand j’ai vu qu’ j’ voyais plus, je
voyais bien que j’voyais rien. » (Essayez avec l’accent, ça vaut des points).
Et puis il y a ce vendredi
11 ou je décide de me rendre à une place que j’avais identifiée et considérée
comme étant peut-être un bon poste pour un affût. Navigant à travers la pampa
Haut-Doubsienne par une voie inexplorée jusqu’alors pour me rendre à l’endroit
de mon choix, je suis interpellé par une place jouxtant d’anciens chemins de
débardage dont on percevait encore à peine les ornières recouvertes par la
végétation ambiante et dense du moment. L’espace est plat, clairsemé. Composés
de feuillus et de conifères, quelques arbres morts jonchent le sol et le soleil
arrose partiellement les lieux au travers des branchages. Une légère brise
effleure mon flanc gauche pour parfaire le tableau.
Un détail attire un peu plus
mon attention. Je constate que non loin de là, les agents forestiers ont posé
des grillages de protection autour des jeunes arbustes afin de prévenir des
dégâts occasionnés par la faune locale. Je me propose alors d’évaluer la
situation un peu plus en détail. Après un rapide tour d’horizon, je jette mon
dévolu sur un arbre depuis lequel j’imagine avoir de bons angles de tir et peu
de coupes lors de mon ascension. À peine ai-je posé mon tree-stand au sol que
des craquements éveillent ma curiosité. Je lève la tête et vois à 30 m devant
moi un beau brocard sortir des fourrés. Je me cache tranquillement derrière mon
assise et décroche gentiment mon arme, j’enfile mon décocheur, encoche ma
flèche alors que mon rythme cardiaque s’accélère. Lorsque je refais surface,
l’animal a disparu. M’a-t-il vu, entendu, senti ? Est-il encore proche mais
hors de ma vue ? Je n’en ai aucune idée. J’essaie de percevoir un quelconque
signe, une branche qui bouge, un bruit .... Mais rien. J’entreprends alors une
approche en direction du dernier indice visuel que j’ai en mémoire. Les
feuilles et brindilles craquent sous mes pas et à ce moment j’imagine que ma
tentative est quelque peu ubuesque. Au fur et à mesure que j’avance, je me
redresse sans aucune conviction que ma démarche se solde par un succès. Ma
posture complètement défaussée, je commence à apprécier la déconvenue quand
j’entends le larron s’échapper à 10 m de moi dans un brouhaha ahurissant :
branche qui claque, aboiements etc. Cette fois c’est sûr, la séance est levée.
Paradoxalement, je reste sur
ma faim et dans un même temps je suis repu de l’intensité du moment passé et
d’un contact avéré. Je reprends mes esprits et qu’à cela ne tienne, j’observe
les environs et repère un autre arbre potentiellement mieux exposé dans
l’éventualité où je me tiendrais de nouveau aux aguets en ces lieux. Seul hic,
quelques travaux d’élagage s’imposent. Foutu pour foutu, je m’improvise
paysagiste et m’installe. Durant l’attente, je m’interroge sur le bien-fondé de
mon entreprise et questionne le Pat
qui m’informe image à
l’appui qu’il vient à l’instant de prélever un jeune brocard. Je suis heureux
pour lui et espère que cette issue sera la mienne la fois prochaine. Le
crépuscule venu, je quitte mon poste bredouille mais avec un vif espoir pour la
suite.
Le mardi suivant, je réitère
l’exercice mais cette fois-ci un peu plus tôt. À peu près vers la même heure et
le vent donnant à l’opposé, j’entends les craquements significatifs d’un animal
à proximité. Après un examen approfondi des alentours, j’aperçois un chevreuil
à une cinquantaine de mètres. Impossible de dire s’il s’agit d’un mâle ou d’une
femelle car les branches cachent en partie l’animal. Une tentative d’appel au
Butollo le rapproche quelque peu mais sans avantage aucun pour ma part. Une
tentative d’amorce de trop aura raison de mes espoirs naissants.
Le samedi 18 juillet, une
journée radieuse s’annonce et le devoir familial m’appelle pour ma première
sortie en ville post-confinement. Je remise alors mes aspirations à giboyer
dans les profondeurs de mes désirs refoulés. La journée passe, chacun des miens
vaque à ses occupations citadines respectives : amis, shopping etc. Arpentant
les rues à la façon d’un bagnard, je me rends compte que la frénésie des foules
consommatrices de biens et de valeurs périssables ne m’avaient pas manqué. Je
pense alors en mon fort intérieur à quel point je serais mieux en communion
avec la nature qui m’attend. Grâce du ciel, notre escapade s’abrège à
l’approche des 15h et j’entrevois avec enthousiasme une nouvelle opportunité de
prendre ma revanche sur mon brocard.
De retour au bercail, je me
prépare avec hâte sous les regards et commentaires espiègles de mes proches qui
me comparent à un enfant une veille de fête. Je vérifie mon matériel sur un
œillet de feuille A4 à 10 m et comme un signe du destin : Bullseye... devant
les applaudissements du public en présence. « Il ne me reste plus qu’à faire la
même ce soir ! » leur dis-je d’un air amusé et satisfait. « Priez pour moi
quand même » ajoutais-je avant de prendre la route. Arrivé sur le parking de
chasse, je me dirige vers le lieu de mes déboires passés. Les pluies des jours
précédents ont insonorisé le bruit de mes pas sur le sol que je foule avec
ardeur et précaution pour finalement être prêt, posté et flèche encochée à
18h00. Une fois sur les lieux et compte tenu de mes dernières expériences
infructueuses, je m’interroge sur l’emplacement à occuper : le premier pour la
première ou un autre, peut-être plus approprié, pour la deuxième ou encore
comme le disais Devos : « On a toujours tort d’essayer d’avoir raison devant
des gens qui ont toutes les bonnes raisons de croire qu’ils n’ont pas tort ».
Je vous ai dit qu’on était
plusieurs dans ma tête. À tort ou à raison et comme on ne change pas une équipe
qui gagne, je m’installe sur l’arbre que j’avais préalablement préparé. À
l’heure fatidique, je suis opérationnel. Le temps passe, un léger vent haletant
m’apaise, il fait beau, bon et la seule situation m’épanouit. Vers 19h30, la
quiétude du sous-bois est troublée par les sonorités singulières de mes
constatations passées. Je me relève silencieux, inanimé et le cœur bouillonnant
quand je vois poindre à 30 m une paire de bois qui s’approche de mon affût. Quelques
instants plus tard, je l’observe dans son entièreté, derrière un arbre, se
délectant avec insouciance de diverses feuilles fraîches. J’arme alors mon arc
en essayant de faire preuve d’une infinie délicatesse et dirige mes efforts
vers la direction de sortie que je convoite. Après plusieurs minutes,
commençant à saturer, les tremblements de mon bras en tension m’alertent quant
à une mauvaise issue de tir. Je désarme alors et tente de reprendre mes esprits
lorsque la créature décide d’orienter ses ambitions à l’opposé de mes
pronostiques. Je profite d’être hors de son champ de vision pour réarmer mon
arme, il contourne les feuillus et s’approche, candide, pour finalement échoir
à environ 15 m de ma tour de guet.
J’ajuste mes repères tandis
que mon cœur résonne dans ma cage thoracique tel un taiko, et lorsqu’aucun
doute ne subsiste plus sur l’aboutissement de mon tir, je décoche. Dans sa
course effrénée, la flèche sectionne la colonne vertébrale au niveau de
l’encolure et ressort de la victime au niveau de l’aine. La bête accuse le coup
avec stupeur et s’effondre sous l’impact. Alors que la mort arrive
inéluctablement, le martyr dans son incompréhension tante dans un ultime effort
d’échapper à son destin en essayant de fuir sur les membres qui lui obéissent
encore quelques secondes seulement. Il s’allonge finalement sur le flanc, attendant
le trépas. J’observe son souffle s’amenuir et lui rend hommage dans son dernier
soupir.
Je remercie mon seigneur, je sanglote, je suis heureux. Vive le tir
d’été !