Cabane de chasse de Bucey les Gy (70), samedi 7
janvier :
A midi nous avons fait un repas gargantuesque ;
on a mangé les foies et plusieurs galettes toutes aussi bonnes les unes que les
autres. Ceux qui tombent sur la fève doivent en apporter une la semaine
suivante. Curieusement je suis le seul à avoir une fève : serait-ce mon
jour de chance ?
J’ai beaucoup trop mangé. Du coup, pour la battue de
l’après-midi, je n’ai pas le courage de transporter et d’installer mon
tree-stand, d’autant que le poste que j’ai tiré au sort est loin de la route.
Je me tiens camouflé comme je peux derrière un chêne
de 20 centimètre de diamètre. J’ai plus envie d’une bonne sieste que de 3
heures d’affût debout au sol !
Au bout d’une heure et demie, vers 15h30, j’entends casser du bois. Difficile de voir
d’où viennent les animaux et encore plus difficile d’armer mon arc tellement
j’ai mis de couche de vêtement pour me protéger du froid.
Enfin à 50 mètres, j’identifie 4 à 5 cervidés qui se
dirigent droit sur moi au petit trot. Le premier porte une empaumure (nous pouvons
tirer un 12 cors minimum). Par expérience, je sais que les plus beaux mâles
sont le plus souvent derrière. Leur trajectoire est pile dans ma direction,
Ils vont passer à ma hauteur à quelques mètres. J’arme et vise le premier, car
à ce moment je sais que si je focalise mon attention derrière et laisse passer
les premiers animaux, je serai détecté. Alors que le premier cerf arrive à ma
hauteur, j’ai mis le pin’s de mon viseur sur l’arrière de son omoplate.
Ils continuent de trottiner. Je ne sais pas combien il y a d’animaux, ni s’ils
sont coiffés ou pas. Je me concentre sur mon tir. Si le premier cerf s’arrête,
je décoche. Je ne peux décemment pas flécher un animal aussi majestueux en
déplacement (ce n’est pas une grive tout de même !!!).
La flèche est partie car
il s’est arrêté au moment où nos regards se sont croisés. A ce moment précis,
il est déjà mort et il ne le sait pas encore.
S’en suit une cavalcade en sens inverse.
Joël un ami posté à une centaine de mètres de moi a vu
les animaux passer à une trentaine de mètres de lui en plein travers. Il a bien
identifié le premier : au moins quatorze voir seize cors, derrière un
douze, un dix puis un daguet et enfin une biche. Il n’a pas tiré (à la
carabine) car il a fait son cerf l’année dernière. Il aurait pourtant pu le
faire, car à partir de janvier tout le monde peut à nouveau tiré, y compris
ceux qui ont déjà prélevé sur la commune. Qu’il en soit ici remercié. Il me
crie : « pourquoi tu n’as pas tiré ! ». Je lui
réponds : « mais j’ai tiré ! ». Et je corne à tue-tête
les 5 coups qui annoncent la fin de la battue pour le cerf mâle. Personne ne
répercute (il n’y a pas eu de détonation).
Ni tenant plus, il me rejoint à
l’anschuss à quelques 10 enjambées de mon affût. Nous découvrons plusieurs
gouttes de sang comme projetées sur la neige. Puis plus rien, enfin si, une
micro goutte tous les deux mètres, puis de plus en plus espacées. Nous ne
suivons pas plus d’une vingtaine de mètres, et attendons pour ne pas gâcher les
indices. Je continue de corner pour éviter que quelqu’un ne retire, mais
toujours pas d’écho.
Joël téléphone à Daniel notre président qui prévient
Stéphane, un conducteur de l’UNUCR. Seulement ce dernier est déjà en recherche
sur un cerf mâle (une balle de patte) sur la commune limitrophe. Soudain
nous entendons du bruit, en contre bas : 4 cervidés passent à une
cinquantaine de mètres de nous (un douze, un dix, un daguet et une biche). Il
en manque un, c’est bon signe. 16 heures passées, nous prenons la décision de
suivre la piste. J’ai perdu un renard comme cela, il y a un mois (à 17 h à la
fin de la battue, avec la pénombre qui arrivait, plus moyen de voir le sang
pourtant très abondant).
Pas à pas, je suis les empreintes supposées des 5
bêtes, tout en cherchant du regard la goutte de sang suivante. Joël, lui me
suis à courte distance le regard balayant le sous-bois. A moins de cent mètres,
je lui dis : « il faut revenir en arrière à la dernière goutte,
j’ai perdu sa trace ». Mais lui continue sa trajectoire sans se soucier de
moi. Il me crie : « il est là étendu devant nous ».
Le cerf dont
je rêve depuis bien longtemps ; bien avant d’avoir commencé à chasser avec
un arc est là, à mes pieds. Il a parcouru environ 150 mètres. Tir ¾ face
(l’entrée est en haut du poumon gauche et la sortie en bas du cuissot). A
peu près tous les organes vitaux sont touchés sauf le cœur. Il a fait une
hémorragie interne. Je corne les 5 coups et le rigodon. J’étais confiant dans
le dénouement de cet acte de chasse parfaitement réussi. Mais là, je suis dans
en état second. J’appelle chez moi, puis je compose le numéro de Pat notre
président pour le prévenir, au son de ma voix, il a du comprendre que c’était
du lourd. Enfin pas tant que cela : 159.4 kg et un surandouiller en moins
(il porte 18 cors).
Bel animal, des monts de Gy, qui n’a pas démérité au brame,
vu les nombreuses traces de blessures sur son pelage : sans doute le roi
de la forêt.
Que sa mémoire, par ce récit, soit ici honorée.
Et un grand merci aux gestionnaires qui œuvrent toute
l’année pour faire en sorte que la chasse soit si belle.
Pat du Jura