Battue Alsacienne ou rencontre
avec un keiler
Je ne publiais plus mes photos de prélèvements à l’arc sur le
blog de l’ACAFC, privilégiant la rédaction d’article à l’intention de notre
revue fédérale : chasse à l’arc.
Dans le dernier article, qui aurait normalement déjà dû être
diffusé : Pour mes 50 ans, je tirais ma révérence au monde de la chasse.
Seulement, vous vous en doutez bien, quand on a une addiction, ce n’est pas si
simple de s’arrêter.
Ayant tout de même réservé un séjour de chasse aux mouflons
dans le Caroux, comme je le fais depuis maintenant une dizaine d’années (1), j’ai fait valider mon permis
national. J’ai également repris une action dans ma chasse communale pour le
bracelet de chevreuil en tir d’été. La quête de la proie que j’ai choisie est
ma véritable passion. La mort de l’animal convoité est pour moi un
véritable crève-cœur. Je ne sais pas si un jour le no kill sera inventé pour
notre loisir, mais en attendant, mon petit appareil photo numérique qui tient
dans la poche me permet d’immortaliser sur l’écran de mon ordinateur la
conclusion de mes approches.
Bien qu’ayant réussi mon challenge la saison passée : à
savoir prélever à l’arc les 5 espèces de grands gibiers en milieu ouvert et
dans l’année, j’ai tout de même repris mes actions dans les départements du
Doubs et de Haute Saône. La motivation étant avant tout, les relations humaines
que j’ai pu tisser avec les équipes de ces deux territoires. Ce serait idiot de
perdre de vue des personnes que j’apprécie et avec qui j’ai pu partager des
moments inoubliables. En résumé, je continue à chasser, comme auparavant ;
mais avec une motivation bien différente. Bien souvent mon arc est
encombrant et superflu, car je sais que mon mode : « chasse »
est à cet instant sur : off.
Peut-être, prendrai-je le temps de relater ma chasse d’été et
ma quête des mouflons, mais pour l’instant mon esprit est torturé par une
mésaventure que j’ai vécu ce week-end de Toussaint.
Si je relate cette histoire, c’est aussi et avant tout pour
que vous évitiez la même erreur que moi si d’aventure vous vous trouviez dans
une situation similaire. Mais revenons au début : Comment je me suis
retrouvé ce samedi 30 octobre posté au sol avec mon compound et un couteau
suisse, sur ce flanc de montagne dans une grande battue Alsacienne, à plus de trois
heures de route de mon domicile.
Ce privilège, car c’est un privilège, je le dois à Eric.
C’est un ami que j’ai en commun avec notre président Patrick. Mais cette
rencontre je ne la dois pas à ce dernier. J’ai fait la connaissance d’Éric, il
y maintenant bien des années. Nous pratiquons la même activité professionnelle
à savoir l’apiculture. Pour l’un comme pour l’autre, c’est une véritable
passion que nous vouons à notre outil de travail : l’abeille. Lui et moi
avons à maintes reprises covoituré pour assister à de nombreuses réunions
d’apiculture régionale. Si à l’aller, nos échanges portaient avant tout sur les
stratégies à adopter vis-à-vis de nos collègues professionnels pour faire avancer
notre point de vue ; au retour, nos échanges tournaient invariablement
autour de la chasse, notre deuxième centre d’intérêt en commun.
Eric est le président de deux ACCA communales, mais il est
également depuis peu, adjudicataire d’un lot de près de 1000 ha d’un territoire
de montagne qu’il gère avec brio. Cela fait déjà un moment qu’Éric m’avait proposé
de m’inviter pour me faire découvrir une facette de la chasse que je
n’imaginais même pas. Cette façon d’appréhender la gestion d’un territoire
empreint de la culture germanique m’a impressionné. Ici, ce n’est pas la
bredouille qui est la règle, mais plutôt l’exception. Même si Eric décide bien
souvent de ne pas tirer, le nombre de prélèvements qu’il a réalisés en quelques
mois alors que l’apiculture l’accaparait est tout simplement bluffant ! A
noter, qu’Éric tire tous types d’animaux même les plus grands avec un petit
calibre de 6,35 millimètres. Même s’il se sent capable d’effectuer des tirs de
longue distance à la limite des trois cents mètres, la plupart des animaux sont
tirer à moins de quarante mètres, une balle dans l’oreille et restent sur
place. Sa philosophie est proche de la nôtre : toujours plus près. Seul
les jeunes animaux peuvent être tiré à l’affût. Pour les autres : les
cervidés mâles, vieux sangliers, chamois et grand brocard c’est l’approche
uniquement. Et croyez-moi, ce n’est pas chose aisée tant les dénivelés sont
importants. D’après lui, ce territoire regorge de ces animaux d’exceptions dont
on ne voit finalement l’image que dans les revues cynégétiques. Je crois que
j’ai éveillé sa curiosité par rapport à la chasse à l’arc, et cela ne
m’étonnerais pas qu’il fasse un jour le pas.
Le règlement du lot oblige Eric à effectuer quatre battues
par an. Si cela ne tenait qu’à lui, il n’y en aurait même pas !
Le plan de tir de la journée : tous sangliers de moins
de 50 kg, nombre illimité par chasseur. Tous chevreuils en privilégiant les
jeunes si possible (il reste encore un nombre considérable de bracelets à
fermer). Faons et daguets dont les dagues sont inférieures aux oreilles. C’est
déjà quasi « open bar !», pour la modique somme de 50 euros au
chapeau (sandwich le midi, apéritif et repas du soir dans une auberge
gastronomique compris). Aller, Eric est entouré d’amis qu’il a soigneusement triés,
il rajoute : « si vous identifiez un vieux sanglier mâle, vous
pouvez tirer ».
Durant la battue du matin, je m’attendais à entendre des
détonations en permanence. Il n’en fût rien. Quatre coups de feu furent tirés
pour 3 jeunes sangliers au tableau. Par contre, le récris des chiens fût quasi
continu. Les chiens de petites quêtes sont seuls tolérés. Ils lèvent le gibier,
le suivent sur moins d’une centaine de mètres en jappant et reviennent aussitôt
vers leur propriétaire pour poursuivre la traque. Depuis mon tree stand, j’ai
pu observer un brocard encore coiffé et une chevrette échapper aux chiens et se
remettent à couvert aussitôt l’arrêt des aboiements de leurs poursuivants.
C’est très impressionnant ! Tout le monde a vu des animaux, mais au
demeurant très peu vis-à-vis de la densité présente sur le territoire.
Après une rapide collation, j’apprends de la bouche de
Didier, que sur le secteur où je vais être placé pour l’après-midi se trouve un
vieux sanglier. Ce vieux mâle a pris dans l’été la fâcheuse habitude de
chercher sa nourriture dans les pâtures environnantes, au grand dam de
l’agriculteur du secteur. Didier m’explique qu’il a affûté le sanglier et lui a
tiré une balle à un mètre dans les baliveaux. Depuis, le sanglier n’a plus
jamais refait parler de lui. A n’en pas douté, il est toujours là. Je ne sais
pas si c’est le genre d’histoire que l’on raconte aux invités pour leur faire
vivre la chasse plus intensément, mais je suis bien enclin à le croire, car à
la chasse, nul n’est mieux placé que moi pour savoir que tout peut arriver (2).
Didier est l’homme de confiance et surtout un ami indéfectible d’Éric, il est
sur le terrain en permanence, Didier est le capitaine de chasse, il connaît le
lot à merveille pour y être minimum 1 à 2 jour par semaine. Je n’ai donc aucune
raison de douter de sa parole.
Il est quinze heure trente, la traque est passée au-dessus de
moi. J’ai vu deux chevreuils. Je ne suis pas mécontent de ma journée d’autant
qu’elle doit se terminer dans cette auberge gastronomique flanqué au milieu de
nulle part et dans laquelle j’ai très bien mangé la veille. La suite ne s’est
pas passée comme prévu. J’entends une détonation, et en quelques minutes un
ferme roulant arrive sur moi. Le sanglier fait face aux chiens qui se tiennent
à une distance de quelques mètres de ce dernier. Le sanglier dévale lentement
la pente à quelques quatre-vingt mètres de moi, je suis pour l’instant en
dessous. Aucune consigne particulière n’ayant été donnée concernant ce type de
situation, je quitte mon poste. Mon devoir est d’achever cet animal. Je me
rapproche en suivant la courbe de niveau. Arrivé à une dizaine de mètres, le
sanglier est à ma hauteur de profil. Je remarque qu’il a une patte
ensanglantée. J’arme mon arc calmement, cale mon viseur sur le quart avant
de son abdomen et décoche ; 65 livres de puissance, ça doit le faire.
L’erreur à ne pas commettre, et j’ai retenu la leçon :
ne pas attaquer l’animal sur la même courbe de niveau. Il faut prendre le temps
de monter au-dessus de sa position. Un conseil : Toujours avoir à sa
ceinture un poignard ou une dague. Pour ma part, j’ai un poignard dans le sac à
dos resté dans la voiture. Ce qui devait arriver arriva. Le sanglier m’a
chargé ! Il a passé sa tête entre mes jambes et j’ai volé en arrière.
Je me vois encore couché au sol essayant de repousser ses assauts avec mes chaussures
de montagnes. J’ai fait du judo étant plus jeune, je ne sais pas si cela m’a
aidé dans ce corps à corps ou l’issue sera forcément fatal pour l’un ou
l’autre des protagonistes. J’ai réussi à repousser sa tête dans le sens de
la pente et il est de lui-même redescendu de quelques mètres en contrebas. J’ai
récupéré mon arc tombé à terre et vidé mon carquois des deux flèches restantes.
Le seigneur des lieux n’est plus ! Il s’est défendu jusqu’au bout. Je le
remercie de m’avoir épargné, car je sais combien sa force et sa ruse
sont bien supérieures aux miennes. Elles lui ont permis d’atteindre un âge
vénérable dans ces montagnes où l’hiver la neige est présente pendant de longs
mois. Que par ces lignes ta mémoire ici soit honorée : Sus Scrofa cousin
d’Attila.
Vous
connaissez tous l’expression : « il y a eu plus de peur que de
mal ». L’inverse est aussi vrai. Je dois avouer que je n’ai pas eu peur ou
plutôt pas eu le temps d’avoir peur. Je n’ai pas eu mal non plus. L’adrénaline
a fait son effet. Les traqueurs me rejoignent. « Il est où, il est
où ? ». « Il est là, il est mort répondis-je ! ».
Nous nous approchons, rendons hommage et
prenons quelques photos tout en nous congratulant.
L’un d’eux me
fait remarquer que mon pantalon est couvert de sang. Ce doit être celui du
sanglier pensais-je. Quelle ne fût pas ma surprise en découvrant l’entaille que
sa défense gauche à fait dans ma jambe droite lors de la charge. L’issue aurait
pu être toute autre pour moi et j’en ai pris conscience. Mes partenaires
également en sonnant immédiatement fin de traque et en prévenant Eric.
Ce dernier
m’a conduit sans hésitation aux urgences de Sélesta à près d’une demi-heure de
route.
Je n’ai pu
assister à la fin de journée : goûter au fameux Baeckeoffe et profiter de
la compagnie de mes compères chasseurs d’un jour. Ce n’est que partie
remise. Peu importe, c’était ma journée, et elle restera gravé dans ma mémoire pour
longtemps. Saint Hubert m’a gâté une fois de plus : un grand vieux sanglier
de montagne de près de 90 kg vidé, dont l’empreinte d’une défense restera
gravée dans ma chair, comme pour me rappeler à son souvenir !
Bonne chasse à tous.
Soyez prudent !
Patrice Cahé
(1(1) Quand on arrête ne serait-ce qu’une
année, c’est très difficile de réintégrer une équipe constituée.
(2(2) Voir l’article : le 18 cors des monts de
Gy