Première saison, premier gibier.
Novice dans le monde de la chasse, je me permets de profiter
de l’occasion pour partager avec vous mes premiers pas et mes premières
impressions.
J’ai passé mon permis de chasser en mars dernier. Passionné par le tir à l’arc et sa pratique
dans le cadre de concours
de tir 3D, l’épreuve pratique avec une arme à feu n’était donc pour moi que le passage obligatoire pour pouvoir utiliser ultérieurement mon arme de prédilection
: un arc à poulie
TRIAX de chez Mathews.
J’aime à croire que ma démarche est celle d’un archer en quête d’un style de chasse qui soit l’archétype d’un mode de consommation à la fois éthique et esthétique, technique et philosophique. C’est du moins ce que je m’imagine de manière
quelque peu
utopique vous en
conviendrez😛
Poursuivant ce dessein,
j’ai avec beaucoup de plaisir suivi la formation
complémentaire dispensée par nos chers confrères de l’ACAFC. Les enseignements pratiques
et théoriques prodigués
sont tout bonnement excellents. Nos séances d’entrainement, agrémentées des récits pittoresques de Christian et sa tante Ursule - ou quelque chose comme ça - leurs confèrent
une certaine forme de légèreté et de
bonhomie très agréable.
Durant nos assemblées, je prends conscience que le tir de chasse est bien plus exigeant
que le tir sportif car nécessitant une prise en compte de bien plus de paramètres parmi lesquels : la pénétration, les angles et les conditions de tir, la connaissance anatomique et comportementale de la faune, le camouflage visuel, olfactif et sonore
… et bien
au-delà de toutes
ces considérations techniques,
le
fait qu’enlever une vie n’est pas un acte
anodin qui mérite d’être le plus respectueux qui
soit.
À cet effet, je consulte
aussi régulièrement les frères Erhart pour les ajustements et le choix de mon matériel. J’augmente ainsi la puissance de mon arc à 67 lbs, je monte des tubes CX Pile Driver 350 de 28’’ avec des inserts 60 gr et
je
m’entraine à raison de 2 fois par
semaine.
Je m’équipe également de bilames Hunor Atilla 125 gr que j’affute moi-même à l’aide d’un kit Lansky selon les préconisations du maître du sabre japonais Miyamoto Musashi
: « le Samouraï
affute sans cesse son sabre
mais il ne le sort que pour une bonne raison ». La version franc-comtoise de l’ACAFC, Miya-MoMo Musashi (Sylvain dit Momo) dira lui : «
Affute tes lames jusqu’à ce que tu puisses te raser avec». C’est chose faite, je
propose maintenant mes services
au barbier du coin.
Aussi, impatient de pouvoir mettre en œuvre tout ce savoir fraichement acquis, je passe la formation au tir d’été et je souscris à l’ACCA de mon village où je suis très bien accueilli avec tout
de même le lot normal
d’aprioris que peut susciter un nouveau chasseur à l’arc n’ayant jamais chassé avec quoi que ce soit. Afin de ne pas m’imposer d’emblée, je demande si je peux bénéficier d’un bracelet que je n’utiliserai que pour le renard (désolé Christian, erreur de débutant, j’ai depuis rallié ta cause) et je passe ainsi la
saison estivale à tarabuster
le goupil (mais),
sans succès.
En septembre, l’ouverture générale me propulse au sein des battues.
Notre terrain de chasse est majoritairement boisé et montagneux si bien que la distance raisonnable de tir, aussi bien pour arme à feu qu’à l’arc, n’excède généralement pas les 30 m.
Mes coéquipiers m’expliquent tous les usages et me déposent
à proximité du poste que j’ai préalablement tiré au sort en m’expliquant brièvement la position exacte de ce dernier et le sens de la ou
des traques.
Nous ne sommes
qu’une douzaine si bien que je n’ai généralement aucun de mes
collègues en visuel.
Concernant le placement
à proprement parlé, c’est au feeling.
Je me réfère aux conseils
des sages de l’ACAFC : j’approche de mon poste silencieusement, une fois sur place j’appréhende mon environnement, je recherche d’éventuelles coulées, je pose mon siège de sorte à me fondre dans le paysage,
je teste le sol et le bruit que je provoque
en me mouvant,
j’arme mon arc dans toutes les directions de tir envisageables afin de prendre en compte d’éventuels obstacles. Enfin, j’accroche mon décocheur au D-Loop, flèche
encochée et j’attends en mettant tous mes
sens en éveil.
Dès les premières
sorties, je vois du gibier : un petit sanglier, brocards, chevrettes mais trop loin, trop rapide, on ne tire pas de chevrette avant octobre, j’arme trop tard etc. J’ai l’impression d’être un enfant qui apprend à marcher. J’hésite, mes pas sont gauches, je trébuche mais je prends indéniablement goût à ces moments
privilégiés passés au plus proche de la nature et à cette délicieuse sensation que procure la montée de l’adrénaline lorsque le gibier pointe le bout de son nez. Mes coéquipiers quant à eux reviennent rapidement avec quelques brocards et il y 3 semaines deux gros sangliers de 130 et 183 kg. Je ne désespère pas, mes collègues
sont bienveillants avec moi et il faut le dire, nombre
d’entre eux n’ont encore rien
prélevé non plus, même munis d’une carabine.
Le dimanche 24 novembre
dernier, je me prépare comme à l’accoutumée. À 7h je m’échauffe avec nonchalance (articulations, élastique, pompes), je vérifie mon matériel avec quelques flèches à 10 m sur un bloc posé au fond du garage,
je m’habille chaudement pour affronter les 2°C annoncés
ce matin et je fais les 5 minutes
de route jusqu’à la cabane de chasse.
Deux parcelles au programme, la première traque à lieu à proximité d’un pâturage fraichement labouré par les sangliers
et se solde sans succès.
Nous nous dirigeons vers le deuxième secteur. Je suis escorté
par un collègue qui connait les lieux comme sa poche.
Je lui demande le numéro de poste afin que je puisse
l’enregistrer mais il me répond que rien
n’est défini de ce côté-là. Nous nous arrêtons non loin d’un chemin forestier tombé en désuétude. Nous nous avançons sur ce dernier où il me fait remarquer
des traces de gibier. Nous parcourons environ 150 m, puis il me lance
un « Tiens, regarde
si tu peux te planquer par-là » avant de poursuivre son chemin un peu plus loin.
Le terrain est en dévers, j’emprunte une ancienne trace de débardeur sur quelques dizaines de mètres et j’aperçois une petite zone défrichée sur ma gauche
dont la végétation présente les stigmates
de la faune local.
Je fais un tour sur moi-même
et je remarque
sur ma droite
cette fois, une petite sapinière dont les premières branches m’arrivent à peine plus haut que la tête, m’y faufile et trouve une vieille souche couverte de mousse et - comble de la situation
- un petit espace de 50 cm² plat jouxte cette dernière.
Je pose mon tabouret à l’endroit qui parait être exactement prévu à cet effet, mon carquois
et
ma corne sur la
souche qui semble également n’être là que pour ça. Un épais tapis d’épine jonche le sol et me donne l’impression d’être doté des coussins dont profitent les félins.
J’encoche ma flèche et j’arme mon arc, je constate
que j’ai de bonnes fenêtres de tir devant moi mais quand je regarde
à gauche j’espère profondément que l’animal se présente
de ce côté-là.
Je m’assois pour patienter et apprécier le moment présent. La température est douce en sous-bois, il n’y a pas un brin de vent, les sapins me couvrent
de leurs épais branchages. Je me sens bien. Doucement le silence s’installe, au point que tous les sons sont exacerbés. Le temps semble s’être arrêté lorsque qu’un craquement vient interrompre ce moment de quiétude.
A 30 m à ma droite en contrebas je vois un chevreuil se dérober dans la direction que je convoite. Mon cœur s’emballe tandis je me lève lentement. J’essaye de garder mon calme. À cet instant
précis, j’ai l’impression d’être au ralenti.
J’arme mon arc et pour une fois les 67 lbs n’en paraissent que la moitié.
Je prends acte de tous mes repères : ma main est bien calée derrière ma mâchoire,
je sens la froideur
de la sucette
sur la commissure des lèvres, le nez posé sur la corde je fais coïncider la visette, le viseur
et la bulle du niveau est en son centre. Ma main d’arc est ouverte et détendue. J’attends juste que l’animal s’invite à ce magnifique tableau.
Ça y est, elle est arrêtée
à 15 m en contrebas
dans ma ligne de mire, c’est une chevrette. Je ne peux pas viser plein cœur, une petite branche s’interpose entre nous mais son flanc s’offre à moi. Je décale le point à quelques cm vers la droite et je n’ai plus de doute. Je décoche,
je sens tous mes muscles
se détendre. Le regard figé, j’observe le paradoxe de la flèche qui se dirige inexorablement vers son but. J’entends le craquement des côtes
sous l’impact tandis que mon arc bascule tranquillement
vers l’avant en signe de révérence. La chevrette accuse le
coup, fait volte-face et dans un dernier
effort tente d’échapper à son sort. Je tends l’oreille et commence à compter.
J’entends des masses qui s’entrechoquent, des branches qui craquent et au bout de 5 secondes, plus rien.
Le souffle
haletant, sous l’emprise de trépidations incessantes
je tente de retrouver
mes esprits. Je lance mon chronographe et me remémore la fuite et
les repères précis des endroits de passage. Je vois ma flèche plantée, 5 m plus bas du lieu où se trouvait
la chevrette.
L’attente est interminable. Après 30 minutes je me rends sur place et je constate
que mon empennage est maculé
d’un sang rouge vif mais rien au sol. L’idée d’avoir blessé l’animal me parcourt
plein d’effroi. Je vais chercher mon ruban de marquage alors qu’un des traqueurs me rejoint. Nous suivons la piste que j’ai reconstituée et toujours pas de trace de sang. Plus nous avançons
sans indice, plus un sentiment de culpabilité m’envahit. Je me reprends et me souviens que
l’hémorragie peut dans certains cas
être interne. Nous continuons selon mes explications sur quelques dizaines de mètres quand j’aperçois cette belle femelle de 22 kg gisant,
sans vie, allongée sur le flanc.
Je tombe à genoux, remercie
mon seigneur et l’animal. La flèche est finalement entrée quelques
cm en dessous de la colonne dans le lobe caudal
du poumon gauche pour ressortir à peine plus bas en arrière
sur le flanc opposé. Au sein du groupe,
la nouvelle se propage rapidement que « le jeune a fait une belle chevrette
avec son arc ».
Tous me félicitent et sont agréablement surpris de l’efficacité de l’arme et du parfait état de la viande qui ne comportait comme lésions
que
deux incisions chirurgicales de part et d’autre.
Voilà donc pour mes débuts, Je souhaite juste pouvoir faire mieux la prochaine fois et j’en profite à mon tour pour vous témoigner toute ma gratitude
et ma reconnaissance, pour vos précieux
conseils et votre investissement.
Amicalement.
David Bruey
Fait le ou ne le
fait pas. N’essaye pas.
Salut David ! Récit très détaillé, et qui prouve que tu n'as pas (trop) dormi pendant les explications :)) Ca fait plaisir !
RépondreSupprimerContinue sur cette voie.
Cette photo est un beau symbole, également... Le chasseur à genoux derrière son animal, et baissant tristement les yeux vers sa proie... Tous les sentiments de ces instants sont là.
En espérant que la joie s'installe juste après, bien sûr !
Félicitations !!!
Bravo David pour ce magnifique récit. Tu as l'âme d'un écrivain en plus de celui du vrai chasseur car c'est bien de vraie chasse dont il s'agit ici.
RépondreSupprimerTout est là.... Félicitations !
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