Mon premier chamois à l’arc
Voilà deux mois au moins que je traque les chamois de ma commune. J’y réside depuis plus d’un an maintenant mais la partie du territoire occupée par ces ongulés ne m’est pas familière. Je participe aux battues de l’ACCA communale mais la chasse en solitaire demeure ma préférée et de loin. Les copains de chasse m’ont indiqué quelques endroits à explorer mais le passage d’animaux chassés ne correspond pas toujours à leur lieu de résidence. L’exploration m’a donc pris du temps. Dernièrement, j’ai resserré mon champ de reconnaissance sur une falaise en escalier à 2 marches et donc 3 paliers, longue d’un kilomètre sur le territoire communal mais qui s’étend au-delà.
J’y ai observé et approché plusieurs chevrées. J’ai été surpris de constater que les groupes de chamois étaient très restreints et éparpillés. J’ai compté une dizaine de chamois seulement sur cette portion d’un kilomètre de territoire.
Voilà plusieurs fois que je me lève à la nuit pour rejoindre cette zone et étudier ce qui s’y passe. Je n’ai pas réussi à m’approcher au-delà de 30m jusqu’ici. Hier matin, samedi 19 novembre, je me lève donc vers 6h15 et me prépare. Mon plan est de me rendre en bout de territoire en fonction du vent, d’y attendre 1 heure puis de me déplacer furtivement en direction de l’autre bout dans l’espoir de croiser la voie d’un beau chamois. De n’importe quel chamois donc puisque je suis en possession d’un bracelet de chamois indifférent. On peut tout de même espérer tomber sur le trophée ultime.
Il a plu toute la nuit et il pleuvine encore par moment. Les feuilles mortes ne seront donc pas un problème ce matin. Heureusement. Après une marche d’approche de plus d’un kilomètre, j’arrive à mon caillou en bordure de la première marche depuis le haut. La gestion du froid et de la transpiration est souvent un élément que je sous-estime. Mes habits sont bien humides. Je m’installe au-dessus de cette coulée très utilisée en contrebas. Elle passe à moins de 20m de moi mais de nombreux baliveaux ferment les fenêtres de tir potentielles. Rien n’est parfait. Il faudra faire avec. J’ai pris soin de me munir de mon coussin gonflant qui me permet de m’isoler de la mousse gorgée d’eau qui recouvre mon rocher. L’attente commence mais après plus d’une heure de veille, je dois réaliser que mon chamois devra se mériter autrement. Je remballe mon petit matériel, me prépare et repars en direction de la gauche de la vallée, à bon vent, le long de cette falaise supérieure. Il faut marcher à pas de fourmi dans ces roches lésineuses en évitant les tas de feuilles qui cachent souvent une branche morte prête à détonner sous mon poids. Le brouillard s’en mêle et j’avance aussi lentement que possible dans le duvet cotonneux qui m’entoure et qui brouille les formes. A moins de 100m d’où j’étais posté, je découvre la forme caractéristique d’un chamois entre les arbres à moins de 30m de moi. Il me regarde. Derrière lui passe soudain une chevrée conséquente. Je compte 4-5 chamois à la course mais des ombres les entourent. Il pourrait y en avoir 10. Le mien se tourne vers eux, revient sur moi et décide de suivre le groupe qui descend de la première marche vers la seconde. Je me décale vers le bord de la falaise, histoire de chercher une fenêtre de tir au cas où ils me passeraient en-dessous.
En y arrivant, je ne vois aucun chamois. J’avance toujours aussi lentement que possible. Je me retourne et en vois passer un derrière moi. Il plonge lui aussi sur la seconde marche. Il y en a d’autres encore ! Je suis au milieu de cette bande avec le risque accru de me faire sentir. Heureusement, le vent est principalement ascendant le matin. Je reprends mon approche plus lentement encore. J’aperçois un beau mâle à 20m entre les arbres en bordure de falaise. Impossible de le flécher. Il reste là quelques secondes puis plonge lui aussi. En bas, toujours rien. Ils ont donc pris le chemin qui s’éloigne de moi. Evidemment. Je fais encore 5m quand un chamois que je ne parviens pas à identifier remonte avec un compagnon et se dirige vers moi par étapes. L’autre, prudent reste en arrière. Il m’arrive à moins de 10m de face et m’observe.
Manifestement, il ne parvient pas à identifier le tas de feuilles Camoléon qui me recouvre. Il repart donc vers son groupe sans me laisser d’opportunité de tir et s’arrête à 20-25m 3/4 arrière. Il tourne la tête pour me regarder. A ce moment-là, je suis passé en mode instinctif. Je ne réfléchis plus, je prends la visée, remonte un peu pour compenser et sans y penser, je décoche. L’encoche lumineuse rouge va se loger exactement à l’endroit souhaité. L’action vient de se terminer et je l’ai vécue en spectateur. Qui a pris le contrôle de mes membres pour réaliser et décider de ses gestes ? Le chamois quant à lui a bien pris la flèche, il s’est retourné, a eu une seconde de réflexion puis a suivi son comparse qui plongeait à son tour vers la seconde marche.
Je reprends finalement le contrôle et me précipite vers le bord de la roche pour voir mon chamois s’écrouler. J’ai tiré une G5 Mégameat dont le pouvoir mortel est généralement fulgurant. Mais une fois au bord du précipice, je ne vois rien. Les deux chamois sont parvenus à disparaitre durant les 3-4 secondes qu’il m’a fallu pour arriver sur mon belvédère. C’est incompréhensible. Il devrait être là. A 10m de la faille qui lui a permis de descendre. Mort. Mais non, il n’y a rien. Je me mets à douter mais cette flèche parfaite 3/4 arrière ne m’inquiète pas du tout. Qu’a-t-il pu se passer ? Il va falloir descendre pour éclaircir ce mystère.
50m plus loin, une faille me permet de rejoindre la seconde marche. En chemin je tombe sur ma flèche sanguinolente. Une odeur de viscère s’en dégage et le sang est clair. La lame mécanique est déployée et a fait son oeuvre. Il est donc mort. Je laisse mon matériel et mon camouflage près d’un arbre et plonge à mon tour. Je parcours le second palier en m’éloignant de l’anchuss tout d’abord sans chercher de sang. Juste pour trouver cette dépouille qui devrait être là ! Mais rien. Je reviens donc vers l’anchuss et prends la direction opposée. Rien non plus. J’ai longé pourtant le bord de cette deuxième marche en regardant en contre bas vers le troisième et dernier palier pour voir s’il n’était pas tombé dans la forêt en contrebas qui est si clair maintenant que je n’aurais pas pu le rater. Rien encore. Je reviens donc à l’anchuss, cette fois dans le but de chercher le sang.
Je le trouve facilement en bas de la faille qu’il a empruntée pour descendre mais le sang est difficile à voir sur ces feuilles rousses mouillées. Je découvre qu’il est directement descendu vers la forêt en contre-bas. Le problème est qu’en bas il n’y a pas de chamois visible… Nouveau doute. Aurait-il eu l’énergie pour s’échapper dans la forêt ? J’en doute mais il n’est pas là donc quid ?!?
Je décide de rentrer chercher ma chienne. Je ne peux de toute manière pas descendre vers ce troisième palier vertigineux sans mettre ma vie en péril. Le retour et long, chaud et très humide. Je me change entièrement en arrivant chez moi. Le slip est à essorer, les chaussettes aussi.
J’embarque la chienne, passe à la cabane de chasse récupérer le bracelet et fait le tour de la falaise en voiture pour attaquer par le bas. Je démarre la recherche 200m plus loin qu’à l’aplomb de l’action de chasse. Je fais renifler ma flèche à mon golden qui part en quête. Détachée comme toujours, elle s’en donne à coeur joie et arpente toute la forêt entre la route et la falaise distante d’une centaine de mètre l’une de l’autre. La pente est forte et le chevilles souffrent. La chienne suit toutes les traces des chamois matinaux mais ne semble pas avoir trouvé celle du mien. Je la suis de loin et m’arrête lorsqu’elle passe sous la faille utilisée par mon chamois pour voir sa réaction. Rien. Elle continue comme s’il n’y avait pas de trace. Une atteinte de viscère est pourtant fort odorante !
Je commence à me décourager. Va-t-il encore falloir faire appel à un chien de sang ? Passer la journée à chercher sans trouver ? Le cauchemar doit-il recommencer ? Je suis arrivé en-dessous de la faille quand la chienne revient vers moi. Je lui indique la pente et elle s’élance avec ardeur et courage. Elle remonte de 5m et trouve une odeur. Elle voudrait monter plus haut mais elle n’y arrive pas. C’est inutile de toute manière car je vois bien que le chamois ne s’y trouve pas. Je me mets à réfléchir et la chienne redescend. Elle longe maintenant le pied de la falaise. Et s’arrête à moins de 10m le nez dans les feuilles. Elle ne bouge plus et renifle, renifle. Là, elle a trouvé quelque chose !
Je m’approche et vois une goutte de sang mais pas de chamois. Ce n’est qu’en levant la tête que je le découvre enfin 3m au-dessus de nous, pendu dans un arbre. Il n’était donc pas descendu directement dans cette faille vertigineuse mais avait utilisé ses dernières forces pour dévier de sa trajectoire en pleine falaise ! Incroyable.
Le soulagement et la joie éprouvés à ce moment-là sont pour moi le carburant de toutes les prochaines chasses à venir. Je félicite la chienne qui ne pouvait pas faire mieux puisque le vent, toujours ascendant, l’empêchait de le prendre au nez pour me l’indiquer clairement. C’est un beau mâle de 4 ans pesant 23,5kg vidé que je ramène à la cabane de chasse déserte avec fierté. Mon premier chamois à l’arc.
Stephan Läng
Félicitations !!!
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